Prenons le temps d’explorer ce qui se cache « sous l’assiette »

Le rôle que peut venir jouer le trouble de l’alimentation (TA)

Il peut parfois être difficile de comprendre ce qui pousse une personne avec un TA à se détruire ainsi : restrictions, règles, crises de boulimie, cachettes, isolement, et bien d’autres comportements autodestructeurs. Avoir un TA, est-ce un choix ? Est-ce pour attirer l’attention ? S’agit-il d’un suicide à petit feu ? Et si guérir d’un TA n’était pas si facile que cela parce qu’au fond, le TA servirait à quelque chose ? Prenons donc le temps d’explorer ce qui se cache « sous l’assiette ».

Se sentir en contrôle

Bien au-delà du contrôle lié à la gestion du poids et de l’alimentation, le TA peut donner l’illusion d’être en pleine possession de ses moyens. Dans notre société, la minceur est devenue un symbole de réussite, de valorisation et de maîtrise de soi. Qu’importe les insécurités que nous pouvons ressentir, le contrôle de notre poids et de notre apparence peuvent devenir une façon d’éviter de faire face à nos peurs réelles, nos craintes et nos questionnements. Le piège ? Lorsqu’on a l’impression de ne pas maîtriser les divers aspects de sa vie, contrôler son alimentation et son corps peut sembler être une manière concrète de reprendre le contrôle, quand en fait nous sommes plutôt en perte de contrôle.

Le fait de s’accrocher désespérément au contrôle de son alimentation et de son poids est davantage observé chez les personnes ayant une faible estime de soi et chez celles pour qui il est difficile d’affirmer ses choix, ses préférences et ses limites. Avoir l’impression de toujours être à la merci de ceux qui nous entourent et de notre environnement est souvent vécu avec beaucoup de souffrance et de peur, et le TA devient un moyen de prendre sa place et de se sentir davantage en contrôle de soi et de sa vie.

S’engourdir émotivement

Autant la restriction que les crises de boulimie peuvent avoir pour effet d’éviter de ressentir des émotions difficiles telles que tristesse, colère, peur ou ennui. Le TA sert alors de mécanisme d’évitement au moment où affronter ses émotions peut sembler épeurant. Ce mécanisme malsain de gestion des émotions ne fonctionne qu’à court terme et est toujours à recommencer. Ne pas prendre le temps de ressentir, d’identifier et de « digérer» nos émotions a pour conséquence de nous empêcher de les apprivoiser, et donc de les vivre. Les émotions non vécues s’accumulent, et cette accumulation peut devenir intense à gérer. C’est souvent pour cette raison que plusieurs personnes s’accrochent à leur TA ; par peur d’être happées par une vague d’émotions trop intense.

Combler un vide

Plusieurs personnes avec un TA disent porter en elles une grande souffrance ou un vide. Ce vide est habituellement ressenti dans des moments où la personne est laissée à elle-même, sans stimulation ou distraction. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’une personne aux prises avec un TA admette n’être tout simplement pas capable de s’arrêter, de RIEN faire. Cela peut être perçu comme une forme de perfectionnisme, mais est souvent relié à la peur de s’arrêter et de ressentir le vide.

Se préoccuper avec excès de son alimentation et de son poids est très prenant et peut donc avoir pour fonction de combler un sentiment de vide intérieur. Concrètement, avoir un TA monopolise beaucoup de temps, puisque nous mangeons plusieurs fois par jour. Calculer, compter et contrôler procurent une fausse impression de bien-être et de satisfaction.

Les TAs sont des troubles complexes. Au premier plan, il y a effectivement le contrôle excessif des prises alimentaires et du corps. Cet aspect a d’ailleurs d’importantes répercussions sur la santé physique des personnes qui en souffrent et doivent être mentionnées le plus rapidement possible. Sur un autre plan, toutefois, il y a ce que nous appelons la « fonction du TA » dans la vie de la personne qui en souffre. Cet aspect est souvent plus difficile à saisir puisqu’il fait référence à des mécanismes abstraits, comme la gestion des émotions, l’évitement et le sentiment de contrôle. C’est en réussissant à s’arrêter et en se connectant à soi-même qu’il devient possible de travailler sur les enjeux personnels, émotionnels et relationnels qui se cachent derrière le TA.

Dre Stéphanie Léonard, psychologue