Je l’appelais Anna. Ce trouble qui me suivait, pas à pas à travers mes journées pendant plusieurs années. Cette Anna s’est pourtant affirmé sous toutes ses formes : Anna l’hyperphagique, Anna la boulimique et Anna l’anorexique. Une amie et ennemie à la fois.
Depuis toute petite, j’ai été poussée à être plus que parfaite pour avoir des amies, réussir à l’école, réussir ma carrière dans la chanson et un peu plus tard, pour réussir auprès des garçons. Il faut être la plus belle, me disait-on. La plus fine, la plus forte, la plus souriante… celle qui réussit dans tout. Il le faut, sinon c’est considéré comme un échec. Aujourd’hui, je suis femme dans la mi-vingtaine et je comprends enfin que tout ceci est faux.
Être parfait, impossible
J’ai l’impression que la société et notre environnement nous pousse à faire toujours mieux. Ce que l’on ne réalise pas c’est qu’il n’y a aucune fin. La seule fin possible c’est le fameux lâcher-prise que tout le monde parle. Tsé, ces mots que l’on entend mais qui semble tant être mirage finalement. En fait, le lâcher-prise, de façon plus concrète, c’est lorsque l’on comprend que la perfection n’existe pas. Que ce soit sur les photos retouchées par Photoshop de ces artistes beaucoup trop parfaits, ou que ce soit pour une carrière beaucoup trop énorme attendue de nos proches, ou pour cette homme « parfait » que l’on doit réussir à attraper, rien finalement n’existe. Il y aura toujours mieux, la perfection n’existe pas. Suite à nos essais à l’être et qu’en vain rien n’y fait, on respire enfin. On prend un grand souffle et on regarde le ciel. Il est si beau. On l’avait oublié celui-là.
Lorsque l’on a un trouble alimentaire, on oublie. Je me rappelle un jour, une professionnelle de la santé m’a simplement dit : « Mais Pascale… s’il n’y avait pas la boulimie ? » Une question que je ne m’étais jamais réellement posée. Les larmes m’ont fait réaliser à quel point j’ai oublié la vie sans celle-ci. Sans la boulimie, sans Anna. Je rêvais d’être simplement capable d’aller promener mon chien sans me soucier des regards des autres, des restaurants autour et des pensées qui envahissaient mon esprit à toutes secondes de ma vie depuis des années. À tous les jours, un nouveau combat commençait. Mais à force d’accepter que j’étais une boulimique (je ne crois pas aux étiquettes pourtant), je suis devenue plus forte face à elle. J’ai guéri.
Ma réussite n’est pas d’avoir atteint le poids que je voulais atteindre, et même plus. Ni même d’avoir été capable de me prouver que j’avais presque atteint cette perfection imaginée. Ma réussite est d’avoir été capable d’oublier ces normes que je m’étais données. D’avoir donné tout le temps et l’énergie que j’avais besoin pour guérir. Je suis humaine et toi aussi.
L’acceptation du trouble amène doucement l’acceptation de nous-même
Pour moi, la guérison, c’est l’acceptation. Ce fût ma première astuce afin de vaincre cette maladie. ATTENTION ! Je ne parle pas ici de l’acceptation du corps, mais plutôt de l’acceptation de notre sensibilité, de notre fragilité face à la nourriture ou aux comparaisons. Je parle de l’acception du trouble alimentaire. Une première étape à franchir.
C’est correct d’être moins forte une journée. Ce n’était pas un échec pour moi de laisser Anna s’emparer de moi pour un instant. J’en étais consciente, du début à la fin. Lorsqu’une journée est plus difficile, ce n’est pas la fin ni même le début d’un recommencement. Au contraire, c’est une petite poussée vers le haut pour le lendemain.
Au début du trouble alimentaire, on ne comprend pas trop pourquoi on est comme ça et d’où ça vient. Il faut s’attendre à donner beaucoup de son temps et énergie pour apprendre à la reconnaître, d’où elle vient pour mieux la gérer ensuite. Je la reconnaissais à la fin et je la sentais venir.
Recette magique
Il n’y a pas de recettes établies. Pourquoi cela prend beaucoup de temps pour guérir d’un trouble alimentaire ? Parce qu’il faut se connaître, et puisque l’on apprend à se connaître jusqu’à la fin de nos jours, la méthode essais et erreurs est intéressante. Que ce soit pour le journal alimentaire, l’écriture, le yoga, les groupes de soutien d’ANEB ou tout autres trucs de guérison, la meilleure méthode pour s’en sortir est de S’ÉCOUTER et d’avancer à son propre rythme en cessant de d’accorder de l’importance à tout ce qui peut être néfaste et anxiogène pour la guérison.
En ayant cette maladie, il faut essayer de vaquer à nos occupations quotidiennes mais c’est impossible de mettre ça de côté. Il faut absolument prendre le temps de faire la paix avec ce qui amène le trouble alimentaire. Je l’ai fait pour ma vie future. Je le méritais.
La guérison est-elle impossible?
J’entends souvent que l’on n’en guérit jamais. Je ne suis pas d’accord. On guérit d’un trouble alimentaire. J’en suis la preuve. Et je ne suis pas meilleure que quiconque.
Il faut de la patience, cela en vaut la peine. C’est ma seule vie. J’ai droit de la vivre sans ce trouble, sans Anna. Je ne lui en veux plus aujourd’hui. J’ai fait la paix avec Anna.
Pascale Favreau