Dans le cadre de la Semaine nationale de sensibilisation aux troubles alimentaires, nous avons demandé à Monsieur Claude Moreau, co-animateur du groupe pour les proches des personnes vivant un trouble alimentaire de la Maison l’Éclaircie, de témoigner de sa propre expérience. Celui-ci a croisé la route de la Maison l’Éclaircie, car sa fille a souffert d’un trouble alimentaire. Voici ce que lui et sa conjointe souhaitaient partager avec vous. Bonne lecture !
Le soutien…
J’ai demandé à mon épouse ce qui serait important pour elle de dire à ce sujet. Elle m’a nommé deux choses. Premièrement, « donner beaucoup d’amour, c’est ce qui est le plus important ». Cette phrase, c’est une de ses compagnes de travail de l’époque qui lui avait exprimée, car elle-même souffrait du même mal. Moi, j’ajoute que même si on fait face à un mur et que la personne ne répond pas, elle entend quand même. C’est important aussi pour ses amis de continuer à l’inviter, même si elle ne répond pas ou si elle refuse les invitations. Notre médecin de famille a dit que peu importe le problème, le jeune a toutes les chances de s’en sortir s’il est bien entouré. Au contraire, lorsque personne ne t’aime, ça, c’est grave. Le médecin lui a apporté son soutien, la rassurant sur la perte de cheveux et sur les autres conséquences de ne pas prendre en charge la maladie. Merci à lui ainsi qu’à toutes les personnes en milieu scolaire et hospitalier qui ont apporté leur soutien.
Deuxièmement, ma conjointe m’a dit : « Séparer la maladie… de la personne ». La personne n’est pas un cancer, une tuberculose ou une maladie mentale… Il faut voir la personne qui tente de nous cacher la maladie, maladie qui cherche à occuper toute, toute la place. Le mensonge apparaît avec la maladie. Adressez-vous à la vraie personne, ado ou adulte, encouragez ses projets et parlez d’autre chose que de la maladie.
Un problème arrive toujours avec un cadeau dans les mains, ai-je l’habitude de dire. L’anorexie donne un sentiment de contrôle. À quel moment la balance des avantages et des inconvénients penchera-t-elle du bon bord?
Lorsque notre fille a réalisé qu’elle ne s’en allait nulle part, un revirement de situation s’est produit. Elle avait des projets, et ces projets, elle tenait à les réaliser. Pourtant, combien de fois nos efforts semblaient inutiles, que de souffrances, que de colère face à l’impuissance et l’incompréhension ! Il n’y a pas de pire émotion pour des parents que de voir son enfant dépérir et craindre pour sa vie. « Lâcher prise, prendre soin de soi, mettre ses limites » sont les dernières choses qu’on veut faire, dire ou entendre lorsque la vie de son enfant est menacée.
J’ai vu son visage devenir gris, elle, devenir froide, tellement froide. Son cœur battait entre 25 à 40 coups, dans la salle de réanimation de l’urgence avant d’aller aux soins intensifs. Malgré son état, elle a dit: « Samedi, je vais au championnat provincial ». Cela confirme que non seulement on n’est pas sortis du bois, mais qu’on ne peut pas s’en sortir seul.
Quelle utilité pour elle de voir ses parents à terre, complètement à terre? Si elle voit des parents capables de prendre soin d’eux-mêmes, d’imposer des limites, n’est-ce pas là un soutien au signal du rétablissement ? Pour être aidant, cela prend de l’aide, pas seulement lors de l’urgence médicale, mais tout au long du processus de rétablissement de notre fille. Il est important que la famille s’unisse pour franchir les étapes de la maladie, et lorsque je parle de famille, je parle aussi des frères et sœurs. Ils souffrent eux aussi de la maladie et il faut être tout aussi disponible pour les accompagner et les soutenir.
Autant on frappe un mur au début, autant on peut être accaparé par la détresse dans des discussions à n’en plus finir. Ma conjointe a dit : « J’ai compris qu’après 2 ou 3 heures de discussion avec notre fille, qu’après une journée de travail, l’inquiétude de savoir si elle serait encore en vie, etc., que j’étais complètement épuisée et que cela n’aidait personne. Mettre des limites, être à l’écoute, mais apprendre à dire: « Maman est vidée, pour ce soir, on va arrêter là, j’ai besoin de repos. » ».
Lorsque le trouble du comportement alimentaire s’est déclaré, je savais déjà que seuls, on n’y arriverait pas. Je savais également que cela était un problème de santé publique, un problème de société, l’être humain étant un produit de la société influencé par elle. En même temps, chacun est différent. Il faut du temps pour adapter l’aide selon chaque personne et trouver les bons mots. Heureusement, il y a plus d’informations sur le sujet aujourd’hui qu’il y a 20 ans.
La Maison l’Éclaircie, en plus d’avoir un service d’écoute, des rencontres individuelles, des groupes* pour les personnes souffrant d’un TCA et leurs proches, intervient dans la société pour favoriser des changements sociaux salutaires, par la sensibilisation, donnant des formations, travaillant avec différents intervenants du monde scolaire et de la santé etc. C’est ce qui m’a plu dans L’Éclaircie.
Pas une journée ne se passe sans être soumis aux assauts répétés de l’industrie de la beauté, des régimes alimentaires et pharmaceutiques, les exigences de performance, et autres facteurs toxiques. Pourtant, cela n’empêche pas les proches de se demander: « Qu’est-ce que j’ai fait de pas correct ? » Se sentir coupable, c’est « normal » comme réflexe, pourrait-on dire, mais pourquoi est-ce si compliqué aujourd’hui de faire l’épicerie, de manger sans se sentir coupable ? On ne consomme plus des aliments, mais des protéines, des féculents, des calories, des fibres. Peut-être qu’en mangeant la boîte de carton, ce serait plus nourrissant que les « céréales » elles-mêmes…
La maladie mentale est une maladie du cerveau, pas un problème de volonté. Le collectif du groupe proche nous permet d’échanger entre personnes qui vivent les mêmes problématiques, brisant l’isolement, se redonnant du courage et des outils, des mots. Bref, de se soutenir entre nous.
En terminant, j’aimerais ajouter que le trouble alimentaire, anorexie ou boulimie, tellement paradoxal, attaque la tête, le cœur et, j’ose dire, le viscéral. J’ai entendu plusieurs jeunes femmes qui ont souffert d’un trouble, témoigner au groupe des proches de leur rétablissement. Courageuses ! Elles ont toutes dit à un moment où à un autre: « Vos filles sont chanceuses d’avoir des parents comme vous ! » Se pourrait-il que dans la maladie, elles (ou ils) se sentent aussi démuni(e)s face à leurs parents, que nous face à elles et eux ?
Faites-vous confiance comme parents, la situation est temporaire !
P.-S.: Puisqu’on parle de soutien, je m’interroge sur le soutien que le gouvernement apporte aux organismes œuvrant en santé mentale et ses investissements dans les réseaux de la santé et de l’éducation. L’impact des mesures annoncées va fragiliser davantage les services existants. Pensons à soutenir ceux et celles qui œuvrent dans ces domaines.
*Des groupes de soutien sont disponibles à Québec avec la Maison l’Éclaircie. ANEB offre également des groupes de soutien à Montréal et les environs, Sherbrooke (en partenariat avec Arrimage Estrie), à Trois-Rivières et à Gatineau (en partenariat avec Imavi).